Association Tai Chi Lyon

Centre d’enseignement de l’Art du Chi

Aux origines du Tai Chi Chuan

Il existe de nombreuses formes de Tai Chi Chuan. Les plus connues aujourd’hui sont issues de la transmission de 3 grandes familles : Chen, Yang et Wu. On peut dire que ces familles ont établi leur propre forme avec plus ou moins d’évolution au fil du temps et des descendants.
Cependant l’origine du Tai Chi Chuan est bien plus ancienne que l’histoire de ces familles. Son origine se perd dans les temples taoïstes dont la maitrise des arts énergétiques remonte à plusieurs milliers d’années.

Est-il alors réellement justifié de revendiquer la possession de la forme originelle ou la création du Tai Chi Chuan comme on l’entend parfois ? Peut être dans l’apparence de la « forme » : c’est à dire un enchainement de mouvements d’origine martiale. En effet lorsque l’on regarde les formes des 3 grandes familles, elles sont tout de même très différentes.

Mais alors pourquoi peut-on dire que ces 3 formes sont du Tai Chi Chuan ?
Il ne peut plus s’agir uniquement d’une question de « forme »...mais plutôt d’un « fond » commun : ce fond c’est le « Tai Chi », qu’on peut traduire par « faît suprême », « Tao »... Cependant ce ne sont que des mots.
Au niveau de la perception intérieure, les mouvements de Tai Chi Chuan nous amènent à découvrir notre Tantien c’est à dire notre centre, source de notre présence, de notre Chi, source du mouvement : quand il y a le centre, il y a l’ancrage, il y a le relâchement, il y a le Chi qui circule, qui vient remplir le corps de façon sensitive et se déployer dans et au delà des mouvements, il y a la conscience de ces perceptions dans l’instant. Cette recherche nous conduit vers une efficacité martiale non plus de « forme » mais d’instinct de survie, et surtout de force de Vie. Je dirais alors qu’une forme qui nous conduit à ce résultat est une forme de Tai Chi Chuan, quelle qu’en soit l’origine...

Le Tai Chi est mouvement, il s’adapte aux périodes et aux conditions d’existences des gens.
On ne peut évidemment pas faire n’importe quoi avec les formes, elles nous sont transmises et nous les transmettons telles qu’on nous les a transmises. Mais quand je vois un pratiquant de Tai Chi ,peu importe l’école, je ne m’attache plus à l’aspect "forme", c’est devenu un arrière plan (très esthétique et très appréciable par ailleurs) mais je vois le mouvement lent qui pourtant jaillit du centre, je vois le Chi, je vois si çà respire, si çà circule...je vois le fond, je vois le Tai Chi.

Ces quelques mots sont tirés de ma modeste expérience en Tai Chi style Wu et surtout dans le Tai Chi d’origine Yang que nous enseignons dans l’Art du Chi, tel qu’il a été transmis à Vlady Stevanovitch et tel qu’il nous est transmis aujourd’hui par Michèle Stevanovitch.
Concernant le Tai Chi Chuan de notre école de la Voie Intérieure, nous parlons « d’origine » Yang car il y a tout un aspect énergétique taoïste qu’on ne retrouve pas dans les écoles Yang dites « traditionnelles »...
Bon ! Un maitre (Kuo Chi), qui a fui la Chine pour son Tai Chi, nous a même transmis la forme des 127 postures (qu’il a lui même reçue de Wang yen nien alors qu’il était déjà reconnu comme un expert), cette forme dite secrète car transmise par le fondateur du style Yang qu’au plus jeune de ses fils...
et alors, devons nous revendiquer quoi que ce soit ? Je ne crois pas...l’enseignement de notre Tai Chi Chuan a fait ses preuves par l’expérimentation et non par la renommée, le fond du Tai Chi en devient éclatant dans la pratique bien que celle-ci ait une apparence peu spectaculaire...
Les Maitres qui nous ont transmis ce « fond » à travers les formes de style Yang avaient bien compris qu’on ne peut pas posséder le Tai Chi Chuan. C’est au delà de la forme, la forme est un moyen mais non une fin. On ne détient pas le Tai Chi Chuan quel que soit son maître ou son origine, on le devient petit à petit par la pratique, une ouverture de cœur, et un profond regard intérieur...si dans notre école la forme vient de la famille Yang, le fond nous vient alors des temps anciens taoïstes...
L’école de la Voie Intérieure a su réunir, comme dans les temps anciens, la pratique énergétique à la pratique du Tai Chi Chuan dans une recherche bienveillante d’ouverture à sa nature profonde, à la Vie.

Voici un bout de texte tiré du livre « les 3 classiques du Tai Chi Chuan » traduit et commenté par Maître Waysun Liao :

« Pendant des milliers d’années, le système politique en Chine fut basé sur la brutalité et la corruption. Ceux qui se destinaient à la vérité se nommaient eux-même Taoïstes ou « hommes des montagnes » et ils menaient une existence semblable à celle des moines.
Dépositaires de l’esprit de la philosophie du Tai Ji, ils n’interféraient en rien avec le pouvoir. Puisque le Tai Ji n’avait rien avoir avec la structure politique, même des petites communautés d’hommes pouvaient croitre et se développer »... 
« petit à petit, on en vint à considérer le Tai Ji comme une forme très avancée d’art populaire, qui devait être étudiée par les intellectuels et transmise de génération en génération »...

« En l’an 1200, le moine Taoïste Chang San-Feng créa un temple sur la montagne Wu-Tang pour pratiquer le Taoïsme dans le cadre de la recherche de la perfection humaine. Le maître Chang affirma que l’harmonie du Yin et du Yang était un moyen de dynamiser les capacités physiques et mentales, ainsi que la méditation naturelle et les mouvements naturels du corps nourris par l’énergie interne, qui elle même serait développée en arrivant à un certain niveau de réalisation »... 
« Depuis le commencent , le système monastique de Wu-Tang mit l’accent sur la force interne et la recherche de la sagesse. C’est ainsi que les chinois font référence au système « interne » pour le différencier du système de combat Shaolin. »...

« Comme beaucoup de concentration et d’efforts étaient nécessaires, ainsi que beaucoup de dévouement, afin d’atteindre un certain niveau d’accomplissement dans le Tai Ji, un système monastique se développa bientôt. L’enrôlement était un privilège et ceux qui atteignaient de hauts niveaux de réalisation devenaient les leaders de ce système, suivis par de fidèles enthousiastes, dans une relation unique de maitre à disciple. Soutenu par les gens du peuple et parfois même par des empereurs (quand Maitre Chang San-Feng fut sommé d’enseigner aux puissants la philosophie taoïste), le système monastique du Tai Ji suscita l’image forte de l’art de vivre absolu. Les maîtres de Tai Ji étaient considérés comme l’incarnation de la sagesse et inspiraient un grand respect, surtout car ils pratiquaient justice, charité, qu’ils éduquaient et enseignaient l’art médical. »...

« Les adeptes du Tai Ji pensaient que les gens parviendraient à se discipliner pour s’élever spirituellement, devenir meilleurs, se montrer plus intelligents et parfaire leur santé. Qu’ils seraient à même également d’aider les autres à atteindre le même niveau d’accomplissement qu’eux, de savourer la vérité, de combattre le vice et l’injustice et de protéger les nécessiteux et les faibles. C’est avec ces objectifs à l’esprit qu’ils renforcèrent et développèrent l’aspect martial du Tai Ji. Il fut facile d’appliquer les théories du Tai Ji aux arts martiaux. L’harmonie du corps et de l’esprit, en accord avec l’ordre naturel des choses, était au cœur du Tai Ji. Ce qui offrait une direction d’évolution complètement différente de celle des autres formes de combat et donnait lieu aussi à de surprenants résultats en termes de capacités humaines venant du pouvoir de l’esprit. En conséquence de quoi, le Tai Ji Quan devint l’art martial le plus formidable jamais créé.

A travers l’histoire de la Chine, les périodes de conflits conduisirent à la formation de pouvoirs locaux et à l’utilisation de la force. Dans certains cas, il arriva que certains pratiquants de Tai Ji se retrouvent impliqués dans la pacification de certaines régions, avec la nécessité de mettre en application immédiatement l’instruction du Tai Ji martial. Les aspects philosophiques et méditatifs de l’art furent graduellement abandonnés par la plupart des gens, l’instruction se limitant presque exclusivement à son aspect combatif.

Les vrais maîtres de Tai Ji demeurèrent dans les montagnes et vécurent une vie monacale avec leurs adeptes dans le but de poursuivre l’art authentique. Ils méditaient et pratiquaient journellement pour discipliner leur corps, conditionner leur esprit et cultiver l’essence. De cette manière, le système d’origine fut préservé plus ou moins intact. »...

« Dans les périodes de paix et quand le besoin d’apprendre à se défendre eut disparu, ceux qui enseignaient leur art de manière professionnelle continuèrent à professer suivant un mode familial. Ils apprenaient seulement à ceux qui se montraient vraiment interessés et surtout à leur progéniture, pour qu’elle puisse à son tour en faire sa profession. Les noms des familles finirent par devenir associés aux différents style de Tai Ji (par exemple le style Ch’en, le style Yang, le style Wu). Nombreux sont les styles qui demeurent aujourd’hui encore. Chaque style avait ses particularités mais tous se conformaient aux principes classiques du Tai Ji. Aujourd’hui le style de Tai Ji tel qu’il était pratiqué dans les temples reste le plus authentique. »

« ...aussitôt que l’empire des Ching apprit qu’il existait un art sophistiqué comme le Tai Ji, ils enrôlèrent le maître le plus fameux de l’époque. Yang Lu-Chang (1799-1872), qui créa le style de la famille Yang, récalcitrant à se mettre au service des Mandchous, modifia volontairement les formes méditatives, les transforma en une sorte d’exercice extérieur, qui comportait des mouvements lents, ignorant complètement la philosophie interne et la discipline mentale qui sont la clef du Tai Ji. A partir de cette époque, le style familial du Tai Ji se transmit de manière plus restreinte... »

« C’est ainsi que la forme modifiée du Tai Ji Quan devint le Tai Ji Quan d’aujourd’hui, ou le soi-disant exercice de Tai Ji. Ce Tai Ji là est pratiqué publiquement en Chine à l’heure actuelle. A notre époque, il se peut qu’une personne reçoive une instruction dans l’art du Tai Ji pendant des années et quel que soit le style qu’on lui enseigne, elle n’apprenne seulement « que » le Tai Ji public. En d’autres termes presque tout le Tai Ji enseigné aujourd’hui n’a rien de commun avec le Tai Ji d’origine et se trouve dénué de sens...Si quelqu’un s’investit sérieusement dans l’étude du Tai Ji, dans une recherche de l’Art authentique, alors le style monastique fait son apparition. On peut apprécier à sa juste valeur le courage et le dévouement des maitres qui ont préservé la lignée du Tai Ji monastique au cours du temps. Ceci est notre héritage ».

Eric Sampol